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La « culture de guerre » française peut-elle conduire la relance militaire européenne ? 

Alors que l’Europe intensifie ses efforts de réarmement, la France se positionne comme un acteur clé pour mener cette transformation vers une autonomie stratégique du secteur de la défense. Forte de son histoire militaire, de ses industries de pointe, et d’une « culture de guerre » persistante, la France dispose de nombreux atouts. Toutefois, les experts avertissent que Paris ne pourra mener seul ce projet ambitieux.

Une volonté d’autonomie stratégique affichée depuis 2017

Dès 2017, le président Emmanuel Macron appelait à une Europe capable d’agir « de manière autonome, en complément de l’OTAN », lors d’un discours à la Sorbonne. À l’époque, cet appel avait peu résonné dans les capitales européennes, notamment à Berlin.

Mais la donne géopolitique a changé. Trois ans d’invasion russe en Ukraine, et la récente réélection de Donald Trump, qui remet en question l’engagement américain envers la sécurité européenne, ont bouleversé les priorités stratégiques du continent.

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ReArm Europe : une réponse massive

Face à ces menaces, l’Union européenne a lancé le programme ReArm Europe, un plan d’investissement massif de 800 milliards d’euros à l’horizon 2030 pour renforcer sa défense. Plusieurs pays, dont l’Espagne, l’Italie et bien sûr la France, ont annoncé une augmentation significative de leur budget militaire. Le budget français, aujourd’hui proche de 50 milliards d’euros (environ 2 % du PIB), pourrait doubler d’ici 2030, stimulant potentiellement la croissance économique de 1,5 % selon des économistes.

Une industrie militaire robuste

La France peut s’appuyer sur un réseau de plus de 20 000 entreprises de défense, employant environ 200 000 personnes. Pour Fanny Coulomb, économiste spécialisée en défense à Sciences Po Grenoble, « la France dispose d’acteurs dans tous les segments, et a su conserver ces compétences depuis les années 1960 ».

Après un repli post-Guerre froide, les attentats du 11 septembre 2001 ont ravivé les investissements militaires. Les opérations en Libye et au Sahel ont aussi permis de maintenir un savoir-faire militaire actif.

Une culture stratégique encore vivante

Selon Sylvie Matelly, directrice de l’Institut Jacques Delors, cette continuité opérationnelle a permis à la France de conserver une véritable capacité d’analyse stratégique, contrairement à certains de ses voisins. La France est notamment pionnière dans le domaine des « systèmes de systèmes » (SoS), illustrés par des équipements comme le Rafale ou le porte-avions Charles-de-Gaulle.

Néanmoins, des failles subsistent : la production d’armes légères et de munitions a été largement négligée, supposée facile à relancer. Ce redémarrage s’avère en réalité complexe, du fait de la rareté des matières premières, aggravée par les sanctions contre la Russie.

Un défi industriel et financier

Le secteur fait aussi face à une pénurie de talents techniques, conséquence du déclin industriel prolongé. Le gouvernement français prévoit de lancer un fonds de mutualisation de défense via la banque publique Bpifrance pour soutenir les entreprises du secteur.

Des acteurs privés comme Defense Angels, un réseau d’investisseurs spécialisés, anticipent une hausse des financements en 2025. Leurs membres prévoient de financer jusqu’à 30 startups cette année, dopés par les tensions diplomatiques entre Trump et Zelensky qui ont ravivé les craintes d’un désengagement américain.

Des startups innovantes en plein essor

Des startups comme Cailabs, spécialisée dans les stations optiques au laser pour communications sécurisées, ou Kayrros, qui utilise l’IA pour analyser des images satellites, jouent un rôle croissant dans le secteur de défense. Cailabs réalise déjà 50 % de son chiffre d’affaires dans le militaire, visant les 80 %.

Coopération européenne indispensable

Malgré tous ces atouts, la France ne peut prétendre incarner seule le leadership militaire européen. Delphine Deschaux-Dutard, politologue et directrice adjointe du Centre de recherche sur la sécurité internationale à l’Université de Grenoble, rappelle que le succès de la relance militaire passe par la coopération avec l’Allemagne, l’Italie et d’autres partenaires.

« Il faut des champions européens pour atteindre des économies d’échelle. La France doit faire preuve de diplomatie et éviter toute arrogance », insiste-t-elle.

Cette actualité a été initialement publiée sur : dw.com

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